Les entreprises belges restent globalement frileuses à l’idée de collaborer avec de jeunes pousses. Les collaborations s’avèrent pourtant créatrices de valeur. La preuve avec deux PME, Noukie’s et Maison Dandoy, et deux grands groupes belges, bpost et SNCB.
Culture d’entreprise, méthode de gestion, structure d’organisation, moyens d’action, stratégie de croissance… À bien des égards, tout semble opposer le monde des grandes entreprises et des PME à celui des start-up et des scale-up. Ces deux univers évoluent en parallèle, comme s’ils n’avaient rien à partager.
Et si, au contraire de ce qui se passe encore trop souvent en Belgique, ces deux mondes avaient tout à gagner à se rapprocher, à collaborer, à créer des ponts, à unir leurs forces ? Les grandes entreprises et PME traditionnelles ont, pour elles, l’avantage de la taille, de l’expérience, d’une clientèle fidèle, des ressources humaines et financières. Les autres, encore jeunes et dépourvues de gros moyens, se caractérisent par leur agilité, leur rapidité d’exécution, leur créativité. “Ces deux mondes restent éloignés l’un de l’autre alors que les jeunes entreprises, start-up et scale-up, peuvent apporter les innovations recherchées par les grands groupes et que ces groupes sont autant de clients potentiels recherchés par les premières”, analyse Nicolas Debray, entrepreneur et business angel bruxellois, qui est, à l’initiative avec Be Impact et TheMerode, d’un événement inédit de Speed Scaling for Sustainability entre corporates et scale-up belges sur la thématique de la transition.
Contrairement à un pays comme la France où la grosse majorité des entreprises du Cac 40 et de nombreuses entreprises de taille moyenne entretiennent des relations étroites avec les start-up de la French Tech, la Belgique exploite encore très peu cette stratégie du corporate venturing par laquelle une entreprise établie entame une collaboration structurelle avec une start-up innovante (sans, pour autant, entrer au capital). “On a encore trop tendance à limiter le corporate venturing à deux ou trois modes d’engagement”, explique Laurent Kinet, cofondateur et CEO de Novable, une plateforme “intelligente” qui aide des grands groupes à cibler des start-up innovantes. “J’ai déjà listé une cinquantaine de modes d’engagement différents, prolonge M.Kinet. Chacun de ces modes mène à des objectifs et des bénéfices différents. Pour les grandes entreprises et les corporates, l’enjeu est de parvenir à bien articuler le mode d’engagement et le bénéfice attendu.”
Si la Belgique reste globalement frileuse, des exemples de collaborations existent. Et il ne faut pas nécessairement être un grand groupe (comme Engie) pour trouver un intérêt à se rapprocher des start-up.
Noukie’s : marketing et vente en ligne
C’est le cas de Noukie’s, société belge créée au début des années 1990 dans le secteur des accessoires et des vêtements pour bébés et jeunes enfants. Cette PME familiale d’une trentaine de collaborateurs a dû revoir de fond en comble, depuis quelques années, sa stratégie marketing et de distribution de ses produits. “La qualité et la durabilité des produits restent notre marque de fabrique, indique Amaury Gilliot, CEO de 32 ans qui a pris la succession de ses parents en 2021. Par contre, on a dû se lancer dans le marketing digital et le commerce en ligne (qui représente déjà la moitié du chiffre d’affaires, NdlR). On n’avait pas les compétences en interne pour le faire et on s’est donc adressé à une série de partenaires dont plusieurs start-up belges comme Verbolia, Human37, The Dot Society, Agilytic… Vu la rapidité avec laquelle les choses évoluent et la complexité technologique, c’est devenu indispensable de nouer des partenariats qui créent une valeur ajoutée pour les deux parties.”

Maison Dandoy : transition agroécologique
Toujours dans le monde des PME familiales belges, la Maison Dandoy a opéré un double virage stratégique suite à l’arrivée en septembre 2021 d’Alexandre et Antoine Helson à la tête de la célèbre biscuiterie bruxelloise. D’une part, les deux frères qui représentent la 7e génération ont engagé l’entreprise dans une transition agroécologique. D’autre part, afin de déployer et accélérer cette transition, ils ont fait appel à différents partenaires dont des start-up. “On a eu une prise de conscience durant la crise de Covid, raconte Alexandre, 38 ans. Cela nous a conduits, dans un premier temps, à nous intéresser à l’agriculture biologique régénérative.” C’est ainsi qu’ils ont fait la rencontre de Clotilde de Montpellier, fondatrice de Farm For Good, un réseau wallon d’agriculteurs engagés dans l’agroécologie. Il en est sorti après deux ans de collaboration, une nouvelle farine 100 % locale, biologique et régénérative qui est venue remplacer la farine “mixte” utilisée par Dandoy depuis une cinquantaine d’années.

Les deux co-CEO de la Maison Dandoy ne se sont pas arrêtés là puisqu’ils ont aussi fait appel à Vincent Truyens (Corporate ReGeneration), Emilie de Morteuil (House of Agroecology), Louis Collinet (Tapio) et Stéphanie Fellen (Smart2Circle) pour les accompagner dans ce qu’Alexandre Helson qualifie de “vision pour les 200 prochaines années” (Dandoy aura 200 ans en 2029) !
Bpost : tri et livraison
Avec bpost, on change de dimension. “Face à l’émergence de nouveaux concurrents, notamment des multinationales hautement digitalisées, l’innovation devient cruciale pour maintenir notre croissance et diversification”, contextualise Nicolas Baise, Chief Transformation Officer du groupe bpost. Cette stratégie d’innovation s’inscrit à la fois dans le développement de nouveaux produits et services mais aussi en renforçant l’engagement de bpost envers la durabilité.
"Nous scrutons régulièrement le marché en privilégiant les partenaires spécialisés et innovants, souvent de jeunes entreprises.” Nicolas Baise, Chief Transformation Officer du groupe bpost

“Ces défis nécessitent de nouvelles solutions et des partenariats, enchaîne Nicolas Baise. Nous scrutons régulièrement le marché en privilégiant les partenaires spécialisés et innovants, souvent de jeunes entreprises.” Il cite deux exemples concrets : Nüwiel ou Covariant. La première, une start-up allemande, a aidé bpost à développer des écozones à travers la Belgique. Dans ces zones de livraison sans émission, les colis et courriers sont livrés à pied, en e-van ou à vélo électrique avec eTrailer (une remorque équipée de la technologie de zero force sensor). Quant à Covariant, start-up technologique cofondée par le Belge Pieter Abbeel dans la Silicon Valley, elle vise à intégrer l’intelligence artificielle (IA) et la robotique dans les systèmes de tri de colis.
SNCB : gestion des déchets
Le groupe SNCB se montre, lui aussi, ouvert aux partenariats en matière de solutions innovantes et durables. “Nous développons notamment des partenariats dans le cadre du plan CSR (Corporate Social Responsability) du groupe, confie Jeroen Alting, responsable Sustainable Development et CSR de la SNCB. L’un des piliers de ce plan concerne la gestion des déchets. Pendant très longtemps, on travaillait avec des entreprises qui venaient enlever les déchets afin de les enfouir ou de les incinérer. Aujourd’hui, on se tourne vers des acteurs, comme les start-up, pour voir ce qu’il est possible de faire dans une approche d’économie circulaire.”
“Pour un groupe comme le nôtre, c’est très important de pouvoir travailler avec des start-up ou des associations car elles ont une flexibilité et un esprit d’innovation qui, pour de multiples raisons, n’existent pas suffisamment dans les grandes entreprises.” Jeroen Alting, responsable Sustainable Development et CSR de la SNCB

Il y a un an, la SNCB a noué un partenariat pour mener un projet pilote, Paper Cup Initiative, dans les gares de Bruxelles-Midi, Bruxelles-Nord et Schuman. “L’objectif est de récolter tous les gobelets à café, recouverts d’une couche de plastique, qui sont utilisés par les commerces dans ces gares. Cela représente une grande partie des déchets que la SNCB doit gérer. Avant, ils étaient brûlés. Avec l’initiative Paper Cup, notre partenaire a placé des bacs spécialement conçus pour collecter ces gobelets usagés afin de les recycler.” Un autre exemple, en matière de upcycling (transformation d’un déchet en matériau), a consisté à vendre tous les cendriers métalliques disposés dans toutes les gares (devenues non-fumeurs depuis le 1er janvier 2023) à Recyclart pour en faire des… lampes ! Un projet similaire a été mené avec les anciennes horloges des gares belges. “Pour un groupe comme le nôtre, conclut Jeroen Alting, c’est très important de pouvoir travailler avec des start-up ou des associations car elles ont une flexibilité et un esprit d’innovation qui, pour de multiples raisons, n’existent pas suffisamment dans les grandes entreprises.”